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Idriss Linge ■ Afrique subsaharienne : Un système fiscal plus juste pour un meilleur accès à l’éducation et à la santé

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La COVID-19 survenue en 2020 a plus que jamais rappelé l’impérieuse nécessité qu’il y a pour les pays, de garantir un accès à des systèmes de santé publique dotés de ressources suffisantes, et accessible de manière équitable pour tous. Aussi, elle a compromis la capacité des pays à poursuivre leurs efforts visant à assurer un accès pour tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, surtout pour ceux qui ont le moins de ressources financières. Toutefois, cette pandémie n’a fait qu’aggraver une situation qui nécessitait déjà des améliorations. On retrouve ainsi des structures économiques héritées de la colonisation, et qui profitent toujours aux anciennes métropoles, et surtout une pratique d’abus et d’évasions fiscales par des multinationales qui cherchent à maximiser leurs profits.

En Afrique subsaharienne où on compte 27 pays, la moyenne des dépenses publiques en éducation avant la pandémie était de 4,3% du Produit Intérieur Brut selon les statistiques disponibles sur le site internet de la Banque Mondiale. On pourrait penser que c’est presqu’autant dans l’Union Européenne, où les pays ont collectivement dépensé 4,7% de leurs Produit Intérieur Brut pour l’éducation. Mais en valeur absolue, les dépenses de l’UE pour le secteur éducatif représentaient jusqu’à 654 milliards €, contre seulement 62,3 milliards € pour les gouvernements de la région. Dans son édition 2020 des perspectives économiques pour l’Afrique la Banque Africaine de Développement revient sur ce qu’elle appelle l’inefficience de financement de l’éducation sur le continent. Dans certains des pays (Soudan, Ouganda, Libéria ou encore Sierra Leone), le nombre de personnes vivant avec peu de ressources financières est élevé. Pourtant, les ménages selon des récentes informations, y contribuent encore à plus de 60% des dépenses d’éducation. Or parfois, il faut entre 10 et 12 ans, pour qu’un enfant de 6 ans achève une formation de primaire et de secondaire, ce qui revient cher pour les familles.

Des injustices sont aussi perceptibles en matière de santé, tant sur le plan de l’accès aux soins de santé, que de la disponibilité d’un cadre adéquat pour une bonne qualité de vie, comme l’accès l’eau potable, une bonne hygiène ou encore une nutrition saine et de bonne qualité. Avec la Covid-19, on a vu émerger le risque que représentent les pandémies mondiales pour les pays faibles, tant sur le plan économique, que social. Selon le Global Health Security Index, plusieurs pays africains se retrouvent dans la catégorie de ceux qui sont les moins préparés à faire face à d’éventuelles pandémies. Les données sur l’éducation et la santé, ne prennent pas en compte les disparités entre les zones urbaines et les zones rurales enclavées et reculées. Aussi, ces données ne reflètent pas suffisamment la plus grande vulnérabilité qui existe chez les femmes. Ces dernières sont les plus susceptibles de solliciter des soins de santé en raison de la maternité. Elles ont le plus besoin d’eau potable pour les enfants dont elles prennent soin, et sont aussi les moins privilégiées lorsqu’il faut choisir entre le financement des études du garçon ou de la fille.

Dans les discussions multilatérales, les gouvernements africains évoquent l’absence de moyens financiers pour faire face à leurs engagements en matière des droits de l’homme. Les capacités d’intervention des gouvernements demeurent assez modestes en Afrique subsaharienne et les attentes des populations sont grandes. En plus de la précarité, l’Afrique subsaharienne doit faire face à des défis de sécurité et de plus en plus des catastrophes naturelles comme des sécheresses, des inondations, ou des feux de brousses. Mais de nombreuses recherches ont aussi démontré que le continent laisse échapper des opportunités pour adresser ces défis, faute de résoudre le problème des pertes de ressources budgétaires. Dans une étude publiée en 2017, le Curtis Research a estimé sur la base de sa méthodologie, que les pertes de revenus pour les administrations africaines s’élevaient à 182 milliards $. A cette période-là, cela représentait 400% de l’aide international au développement et autant que les dépenses combinées de la région dans les secteurs de la santé publique et de l’éducation. Dans une autre étude disponible depuis en 2018, les chercheurs Léonce Ndikumana et James K. Boyce ont démontré, que 30 pays d’Afrique subsaharienne ont perdu un total de 1 400 milliards $ sur 45 ans, en raison de la fuite des capitaux. Ce montant permettrait de tripler les dépenses d’éducation sur une période de 10 ans.

Dans son premier rapport sur l’Etat de la justice fiscale dans le monde publié en octobre 2020, Tax Justice Network a estimé que l’Afrique dans son ensemble perdait l’équivalent de 23,24 milliards $ de revenus fiscaux par an du fait de l’évasion fiscale des entreprises, majoritairement des multinationales installées sur le continent. A cela s’ajoutent 2,5 milliards $ perdus du fait de la fraude fiscale par les personnes fortunées, pour un total de 25,7 milliards $US de pertes fiscales estimées dans la région. L’étude a évalué que cette somme représenterait le 52% des budgets consacrés à la santé publique par les pays de la Région. Cela aurait pu permettre de créer 10,13 millions de postes supplémentaires d’infirmières. Alternativement, ces sommes représentent jusqu’à 29% des budgets d’éducation des gouvernements africains.

« Le COVID-19 a dévoilé les terribles conséquences d’un système fiscal international programmé pour faire primer les intérêts des sociétés et individus les plus fortunés sur les besoins de l’ensemble de la société.  Il a mis au grand jour les multiples inégalités qui entachent nos sociétés et dans quelle mesure la destinée des personnes les plus marginalisées continue de dépendre de structures inéquitables, qui conservent un élitisme politique et l’héritage du passé colonial », on lire dans le document. 

Aussi, l’inefficience dans la collecte des ressources financières par les administrations fiscales en Afrique, renchéri le coût de la vie pour des personnes qui ont déjà des moyens financiers limités. Comme on l’a évoqué plus haut, la part des dépenses des ménages pour des questions de santé publique et d’éducation est plus élevé sur le continent que dans d’autres régions du monde, selon des indicateurs de la Banque Mondiale. Sur le faible revenu qui reste pour la consommation, les gouvernements de la région qui ne parviennent pas à collecter efficacement les impôts sur les profits des entreprises et riches individus, prélèvent encore des taxes sur la valeur ajoutée qui dans certains pays atteignent 20%. Enfin, les inégalités d’accès au travail rémunéré rendent les choses encore plus difficiles pour les femmes. Mais plus que la santé publique et l’éducation, ce sont des avancées en matière de justice sociale au sens large qui pourraient apporter le plus de changements en Afrique. Des recherches menées en 2013 sur 31 pays africains par les professeurs Arne Bigsten et Thushaynthan Baskaran concluait déjà qu’il existait une corrélation entre la capacité des gouvernements africains à mobiliser des ressources fiscales et l’atteinte des objectifs de réduction de la corruption et d’amélioration du fonctionnement du système démocratique. Mais il y a aussi une responsabilité des pays dits développés. Dans le cadre du processus de décolonisation, ces pays ont mis en place un cadre économique extractif, qui leur permettait de tirer profits des pays nouvellement devenus indépendants. Aujourd’hui, Ils abritent l’essentiel des juridictions opaques, qui permettent aux multinationales d’y dissimuler des revenus imposables, dont ceux en provenance d’Afrique. En même temps, ces pays compromettent les chances d’une véritable fiscalité internationale qui soit équitable et juste pour tout le monde, en assurant le contrôle des organisations les plus influentes en matière de politique économique et fiscale, comme le G20 ou l’OCDE

Les critiques à la justice fiscale ne manquent pas de dire que mobiliser des ressources ne suffit pas à faire reculer l’injustice sociale. Liz Nelson, experte sur les questions de justice fiscale et droits de l’homme chez Tax Justice Network et auteur d’un important rapport sur la justice fiscale et les droits de l’homme, a une réponse appropriée à cette manière de voir. « L’utilisation des ressources est une chose très importante et non-négligeable. Sans vouloir donner de leçons à qui que ce soit, nous pensons, qu’aucun gouvernement dans le monde qu’il soit d’un pays riche ou d’un pays pauvre, ne doit manquer l’opportunité de se donner les moyens de répondre aux attentes sociales de ses populations, et le Covid est venu montrer que personne n’est à l’abri. Aussi il y a de la part des gouvernements du monde un engagement presque catégorique et obligatoire, pour honorer aux promesses des objectifs de développement durable et il faut pouvoir financer leurs atteintes, pour toutes les catégories de citoyen », a-t-elle fait savoir. Il est urgent d’intervenir aujourd’hui. Aux défis historiques en matière de droits de l’homme, se superposent de nouveaux enjeux qui prennent la forme des changements climatiques et d’épuisement des ressources essentielles à la survie.

Plus que jamais, les trois piliers d’une meilleure justice fiscale internationale défendues par Tax Justice Network s’imposent, pour réduire l’opacité générale qui favorise les inégalités et l’iniquité des opportunités dans le monde. Il s’agit de l’échange automatique d’informations, des registres des bénéficiaires effectifs et de la déclaration publique des comptes financiers pays par pays pour les multinationales. Bien au-delà de l’Afrique, les inégalités sociales dont la fraude, l’évasion et l’évitement des impôts constituent des causes majeures entre autres, continuent de gagner du terrain. Cela justifie de se mobiliser toujours d’avantage au niveau international, pour une plus grande justice fiscale, mais aussi pour un meilleur accès à l’éducation pour de millions de personnes, et pour une protection sanitaire plus efficace.

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