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Idriss Linge ■ Malgré sa tourmente en Europe, la Transparence sur les bénéficiaires effectifs continue de s’améliorer en Afrique.

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Le 22 novembre 2022, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a annulé l’accès du grand public aux registres répertoriant les bénéficiaires effectifs, ou propriétaires réels, des sociétés. Pour de nombreux experts qui travaillent sur la question, cette décision a été prise comme une rétrograde sur les efforts visant à faire reculer l’opacité qui facilite les crimes financiers et économiques, ainsi que l’évasion fiscale et autres flux financiers illicites. 

Selon Andres Knobel, spécialiste de la question au sein de Tax Justice Network, les seuls susceptibles d’avoir applaudi cette décision sont « …les oligarques, les fraudeurs et les criminels » qui par cette décision, ont retrouvé l’anonymat. Toujours de son point de vue, cela profitera aussi aux : « avocats, fiduciaires et autres professionnels qui se décrivent eux-mêmes comme des spécialistes de la planification fiscale internationale, ainsi que les conseillers juridiques de particuliers fortunés et très fortunés ou des experts en patrimoine privé et fiscalité ». Il a enfin estimé que cette décision n’a pas pris en compte les intérêts des groupes marginalisés 

Vue de la société civile africaine, cette décision peut être très incomprises, car durant des années, ses membres ont mené des campagnes de plaidoyer pour l’instauration de règles plus transparente sur la divulgation des bénéficiaires effectifs. Pourtant, il ne devrait pas y avoir de raisons, pour que les changements survenus en Europe influencent négativement l’évolution de cette question en Afrique et ses avancées. La transparence sur les bénéficiaires effectifs dans le continent a une longue histoire et on peut la remonter au tout premier rapport du Panel de Haut Niveau sur les Flux Financiers illicites dirigé par l’ex-président sud-africain Thabo Mbeki.  

Aussi, même si elles comportent certains manquements, les recommandations 24 et 25 du Groupe d’Action Financière (GAFI), recommande à l’ensemble des pays qui y participent, d’avoir un solide cadre de divulgation de la propriété effective. Enfin, en novembre 2022, le Groupe Africain au sein des Nations Unies a adopté une résolution en vue d’y débuter les négociations sur un cadre fiscal international plus équitable et participatif, et la transparence sur les bénéficiaires effectifs devrait y occuper une place prépondérante. C’est dans ce contexte qu’un groupe de chercheurs et acteurs de la société civile africaine ont collaboré pour la production de l’état sur la transparence relative aux Bénéficiaires Effectifs dans les pays Africains. 

Des avancées notables… 

Les enseignements qu’on en tire, permettent de dire qu’au-delà des avancées qui sont constatées, il existe encore des pistes d’amélioration sur le sujet. Une nouvelle positive c’est que même dans les pays où il n’existe pas encore de lois sur la transparence des bénéficiaires effectifs, les écosystèmes politiques et sociales travaillent à y remédier. L’autre bonne nouvelle, c’est que la notion se définit désormais très bien dans l’ensemble des pays de la région, signe que sa compréhension est désormais acquise. Dans le détail, on peut retenir les leçons suivantes.  

  • Le rapport révèle que sur les 54 pays que compte l’Afrique, presque la moitié (23) ont adopté des lois sur la transparence des bénéficiaires effectifs. Il est toutefois important de noter, que ce chiffre représente une réelle évolution, car il y a quelques années ont en était pas là. Aussi, de nouveau pays s’ajoute chaque année à cette liste et en ce début 2023, trois autres se sont signalés, notamment le Cameroun, l’Afrique du Sud, et l’Ouganda.  
  • En tant que continent riche en ressources du sous-sol, on retrouve 28 pays qui implémente les recommandations de l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) et depuis sa norme 2019, il est recommandé aux pays qui la mettent en œuvre de fournir des informations sur les bénéficiaires effectifs des entreprises de ce secteur.  
  • On note toutefois, que seulement 12 des 28 pays engagés dans cette initiative en Afrique, ont des lois de portée générale sur la transparence des bénéficiaires effectifs. Dans certains cas, il existe des seuils différents de déclaration, entre le secteur extractif et les autres secteurs de l’économie. 
  • Enfin, le Fonds Monétaire International, a joué un rôle majeur dans ce domaine, lorsqu’en 2020, il a exigé des gouvernements qui sollicitaient son aide dans le cadre de la riposte contre la Covid-19, que la liste des entreprises qui seraient contractantes dans ce contexte soit publiée, ainsi que celle des bénéficiaires effectifs de ces dernières. A ce propos, 34 pays africains étaient concernés. 
  • L’intervention du FMI aura donc été d’une importance cruciale pour un engagement à la transparence sur les bénéficiaires effectifs, même si dans un cas comme celui du Cameroun, un audit publié par la Chambre des Comptes de la Cour Suprême, a révélé une mise en œuvre non effective. Une des préoccupations soulevées concernait une entreprise, qui selon l’institution judiciaire, appartenait in fine à celui qui présidait la commission de lutte contre la Covid et son frère.  
Mais encore d’importantes améliorations à apporter… 

Derrière ces avancées, se dissimulent cependant de nombreux efforts pour mise en œuvre effective d’un cadre de transparence sur les bénéficiaires effectifs, selon de nouvelles normes de conformité proposées par Tax Justice Network. Par exemple, on note que des pays devront encore améliorer les seuils de déclaration, pour les rendre les plus bas possibles. La moyenne dans les pays analysés est de 20% de participation, avec des pays qui ont atteint les 25%. Cela peut constituer une entrave à la transparence sur les bénéficiaires effectifs, en ce sens que par exemple, 5 personnes ayant des intérêts communs et qui détiennent chacun 20% d’une entité légale, ne seront pas contraints de s’enregistrer dans le registre des bénéficiaires effectifs, lorsque le seuil de déclaration est fixé à 25% 

De ce point de vue, le Botswana fait figure d’exemple avec un seuil de 0%. Dans certains pays il est urgent d’uniformiser les seuils de déclaration. Au Cameroun il existe un taux de participation de 5% pour les sociétés minières, et de 20% pour toutes les autres entreprises. Au Sénégal, le seuil pour les sociétés extractives est de 2% et de 25% pour toutes les autres entreprises. 

Une autre question essentielle qu’il faudra examiner est celle de l’accessibilité gratuite des données sur la transparence des bénéficiaires effectifs au grand public. Le plaidoyer de la société civile se poursuit à cet effet avec des impacts lents mais qui progressent. Un progrès significatif est celui du Botswana, où depuis le 25 février 2022, une loi a rendu accessible au public, les informations contenues dans le registre des bénéficiaires effectifs. L’ Afrique devra aussi poursuivre avec des efforts visant à élargir la qualité des entreprises susceptible de faire une déclaration des bénéficiaires effectifs, ainsi que les procédures de vérification y afférentes. 

A cet effet, aussi bien les sociétés civiles peuvent solliciter un appui de Tax Justice Network, dont la feuille de route pour une transparence effective sur les bénéficiaires effectifs peut servir de modèle aux décideurs politiques qui cherchent à apporter des changements, et aux citoyens qui veulent s’assurer que les changements apportés aux cadres juridiques sont significatifs. La feuille de route définit dix objectifs que les cadres nationaux de propriété effective devraient atteindre. 

Pour lire le rapport complet, vous pouvez le télécharger ici 

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