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Idriss Linge ■ 10 Ans Après, Le Souhait Du Rapport Mbeki Pour Des Négociations Fiscales A L’ONU Est Exaucé !

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Le vote récent aux Nations Unies pour adopter des termes de référence ambitieux pour une nouvelle convention fiscale est une évolution ultime dans le contexte du rapport du panel de haut niveau dirigé à l’époque par l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki, qui pour la première fois en 2015, avait mis un chiffre (50 milliards $ par an) sur l’impact dévastateur des flux financiers illicites (FFI) sur le continent africain. 

Le rapport Mbeki, avait été l’un des tout premiers documents institutionnels, à indiquer que les flux illicites impliquaient souvent des sociétés multinationales et des individus fortunés, qui exploitent des failles dans les systèmes fiscaux internationaux pour éviter de payer leur juste part d’impôts. Les termes de référence adoptés le 16 août 2024 par le comité Adhoc désigné à cet effet par l’ONU comprennent des éléments clés qui s’alignent sur les recommandations du rapport Mbeki. Ces éléments abordent des questions telles que l’impôt des sociétés, la taxation des personnes fortunées, l’évasion et la fraude fiscales, la coopération fiscale internationale et l’allocation des droits d’imposition entre les pays.  

Evasion et optimisation fiscale des armes de destruction massives pour l’Afrique 

Le système fiscal international actuel continue de priver l’Afrique de ressources cruciales pour son développement. Les chiffres sont éloquents et alarmants. Selon un document publié en 2021 par la Commission des Nations Unies pour Commerce et le Développement, les pertes annuelles dues aux flux financiers illicites ont presque doublé depuis 2015, atteignant l’astronomique somme de 88,6 milliards de dollars. Ces pertes compromettent gravement la capacité des pays africains à financer des domaines essentiels tels que la santé (Objectif de Développement Durable 3), l’éducation (ODD 4) et les infrastructures (ODD 9). Cette situation est rendue possible par des pratiques d’optimisation fiscale agressive, qui de plus en plus peut être mesurée. Mais le défi le plus grand reste L’évasion fiscale, Elle repose sur des violations de la loi ou l’absence de transparence et constitue de fait la partie immergée mais la plus importante des pertes de ressources financières domestiques. Ensemble, ces pratiques aggravent les impacts de la crise climatique en Afrique, en réduisant significativement les financements nécessaires pour y faire face, selon une récente recherche effectuée par Tax Justice Network et Tax Justice Network Africa, et qui est intitulé : “Delivering climate justice using the principles of tax justice”  

Une Architecture Financière Injuste et Déséquilibrée 

Un rapport récent du Fonds Monétaire International (FMI) sur la République Démocratique du Congo illustre l’ampleur du problème et les difficultés qu’il y a à lui trouver des solutions dans le cadre du système actuel : l’Île Maurice, qui peine à sortir de son statut de  paradis fiscal notoire, était en 2022 le principal investisseur dans le secteur minier congolais, représentant 63% des capitaux apportés, alors que le top dix des multinationales qui exploitent les mines de RDC on leurs sièges sociaux en Chine, au Canada, au Royaume Uni, ou encore en Australie.  

Comment expliquer ce paradoxe ? La réponse réside dans la politique fiscale attractive de l’île : un taux d’imposition sur les sociétés de seulement 15%, bien loin de la moyenne de 25% en vigueur dans la plupart des pays africains, et diverses autres dispositions fiscales avantageuses pour des constructions juridiques. Le cas de Maurice n’est que la partie émergée de l’iceberg. D’autres juridictions comme la Suisse, les États-Unis, Jersey, la Chine, ou le Royaume-Uni qui sont très souvent classés en tête de l’Indice des Paradis Fiscaux ou d’Opacité Financière, dominent les investissements dans le secteur extractif africain. Ces derniers sont aussi presque tous membres de l’OCDE (Organisation pour la Coopération et le Développement Economique), un club de pays riches qui a établit des normes fiscales mondiales, mais qui toutefois favorisent ses membres, souvent au détriment des pays en développement, et perpétuant ainsi les injustices fiscales globales. 

Les Solutions Proposées par l’OCDE et leurs Limites 

L’institution a effet mis en place le projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting), un ensemble de 15 actions destinées à améliorer la cohérence des règles fiscales internationales et à garantir plus de transparence.  En outre, l’OCDE continue de plaider pour une réforme de la fiscalité internationale qui s’articule autour de deux piliers : le premier vise à allouer une partie des droits à taxer aux pays de destination, tandis que le second cherche à établir un taux minimal mondial d’impôt sur les sociétés.  

Un Modèle de Coopération Non Inclusif et Inadapté aux Pays en Développement : Le modèle de convention fiscale de l’OCDE, pratiquement imposé à de nombreux pays africains, et très souvent sous la pression des bailleurs de fonds, favorise largement les économies avancées, car les normes fiscales internationales promues par l’OCDE sont souvent taillées sur mesure pour les intérêts des grandes puissances économiques, au détriment des pays en développement. Cette asymétrie de pouvoir dans l’élaboration des règles fiscales mondiales constitue un obstacle majeur pour l’Afrique, dont les pays se retrouvent souvent dans la position inconfortable d’avoir à appliquer des règles qui ne correspondent pas à leurs réalités économiques et qui ne servent pas leurs intérêts. 

L’Influence Néfaste des Paradis Fiscaux : Un autre problème clé réside dans le fait que les solutions promues par l’OCDE n’attaquent pas de front l’existence des paradis fiscaux, qui sont au cœur du système mondial d’évasion fiscale. De plus, l’OCDE n’a pas réussi à imposer des normes suffisamment strictes concernant la transparence sur les bénéficiaires effectifs des sociétés et des trusts. Elle a aussi eu peu d’efficacité sur le reporting financier pays par pays accessible au public, une exigence de transparence financière qui contraint les multinationales à publier des rapports détaillant leurs activités économiques, revenus, impôts payés, profits et autres indicateurs financiers clés pour chaque pays où elles opèrent. Ces informations sont pourtant essentielles pour lutter efficacement contre l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent.  

Saisir l’Opportunité pour Transformer le Système Fiscal Mondial 

Les pays africains ont actuellement une chance unique de faire entendre leur voix sur un pied d’égalité avec les nations développées. 110 pays dont tous ceux du continent, exception faite du Libéria, ont voté en faveur des termes de référence qui ont été négociés par toutes les parties prenantes. Plusieurs pays notamment de l’OCDE qui étaient clairement des opposants au processus, se sont abstenus cette fois. Les objectifs du cadre de discussions qui a été adopté, sont ambitieux mais essentiels : accroître la transparence financière, mettre fin à la concurrence fiscale dommageable, et assurer une répartition plus équitable des recettes fiscales mondiales. 

  1. Transparence Financière Totale : Mise en place de registres publics des bénéficiaires effectifs et extension de l’échange automatique d’informations fiscales à tous les pays. 
  1. Attribution des droits d’impositions basée sur une formule unitaire : Pour mettre fin à la concurrence fiscale déloyale et garantir que les revenus fiscaux restent dans les pays où les activités économiques réelles ont lieu. 
  1. Fiscalité au Service des Droits Humains : Repenser le système fiscal mondial pour protéger les droits humains et promouvoir l’équité. 
  1. Renforcement des Capacités Fiscales en Afrique : Investir dans des infrastructures fiscales modernes et former les fonctionnaires pour mieux lutter contre l’évasion et l’évitement fiscaux. 

« C’est un jour historique. En seulement quelques mois de négociations à l’ONU, nous avons obtenu plus d’ambitions pour la réforme du système fiscal mondial que ce que nous avons vu en plus de 60 ans à l’OCDE. Pour la première fois, nous avons des engagements en faveur d’une répartition équitable des droits d’imposition entre les pays et de garantir que les pays ne portent atteinte aux droits humains dans le monde entier par des politiques fiscales égoïstes et à court terme. » a déclaré Alex Cobham, directeur exécutif de Tax Justice Network, commentant cette adoption des termes de référence. 


Cropped image: UN Photo, CC BY-SA 4.0 https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0, via Wikimedia Commons

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